Quand la finance vient en aide aux chômeurs de longue durée
Pour aider les chercheurs d’emploi de longue durée et/ou faiblement qualifiés, Actiris développe une méthode inédite à Bruxelles : l’IOD, pour Intervention sur l’Offre et la Demande.
Le principe : oublier le CV pour se concentrer sur les compétences du chercheur d’emploi. Cette façon de remettre à l’emploi des publics qui en sont éloignés et de lutter contre les discriminations à l’embauche séduit et convainc des investisseurs privés, qui financent le projet via le mécanisme de Social Impact Bond.
Qu’est-ce que la méthode IOD (Intervention sur l’Offre et la Demande) ?
L’IOD constitue une approche originale de la mise à l’emploi des publics qui en sont le plus éloignés. Pour les chômeurs de longue durée et/ou faiblement qualifiés, le CV peut être un frein à l’emploi. S’il présente des trous ou une mise en page brouillonne, l’employeur aura tendance à le mettre de côté. Et que dire des employeurs qui bloquent sur le nom indiqué sur le CV... Ces éléments discriminants ne préjugent pourtant en rien du savoir-faire du chercheur d’emploi.
Avec la méthode IOD, on oublie le CV. On se focalise sur les besoins réels de l’employeur. Ce n’est plus lui qui choisit sur base des CV. C’est le chercheur d’emploi qui choisit en fonction de ses compétences parmi les postes qui lui sont présentés (minimum trois). Cette façon de procéder inverse les rôles. Elle permet de lutter contre les discriminations à l’embauche et d’avoir une meilleure implication du chercheur d’emploi (que l’on nomme d’ailleurs « professionnel »).
Dans le cadre d’un contrat de quartier, la Mission locale de Forest teste la méthodologie IOD depuis fin 2015 grâce au soutien d’Actiris. Un service spécifiquement dédié à l’IOD y a été créé. Il met en relation le professionnel et l’employeur, et négocie le contrat de travail pour qu’il convienne aux deux parties. Il assure également le suivi post embauche et joue un rôle de médiateur. En cas de problème, chacune des parties sait qu’elle peut se confier au service IOD pour trouver ensemble des solutions.
Le service IOD prend en charge environ 100 chercheurs d’emploi par an en vue de leur insertion à l’emploi durable. Il est intéressant de souligner que sur les 187 mises à l’emploi réalisées depuis 2015, il n’y a eu que 7 ruptures de contrat. Ces chiffres démontrent l’efficacité de la méthodologie qui s’appuie sur le rôle d’un intermédiaire pour faciliter la rencontre entre l’offre et la demande. « La méthode IOD démontre que tout le monde est employable. Elle repose aussi la question: qui offre et qui demande ? En réalité, c’est tant l’employeur que le chercheur d’emploi. L’IOD valorise le chercheur d’emploi et répond aux besoins des entreprises. De plus, c’est un formidable outil de lutte contre les discriminations à l’embauche. », déclare Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris.
Combien de chercheurs d’emploi peuvent en bénéficier ?
Ces résultats poussent aujourd’hui Actiris à développer cette méthodologie sur l’ensemble du territoire bruxellois à partir du mois d’avril 2018, afin que davantage de chercheurs d’emploi bruxellois puissent en bénéficier. L’objectif de cette extension de la méthode est de proposer un emploi à 300 chercheurs d’emploi par an. D’ici 2022, ce sont ainsi 1.200 chercheurs d’emploi bruxellois et autant d’entreprises qui pourront faire partie des bénéficiaires de ce projet.
Qu’est-ce que le Social Impact bond ?
Pour développer la méthodologie IOD sur l’ensemble du territoire bruxellois, Actiris utilisera une méthode de financement tout aussi originale : le Social Impact Bond. Il s’agit d’investissements privés dans des projets à valeur ajoutée pour la société.
En 2014, Actiris faisait figure de pionnière en lançant le premier Social Impact Bond en Belgique. Il a permis de contribuer au succès d’un programme développé par l’ASBL Duo for a Job : mettre en contact des jeunes chercheurs d’emploi primo-arrivants avec des personnes de plus de 50 ans, expérimentées, du même secteur professionnel, afin de les accompagnent dans leur recherche d’emploi.
Cette fois, l’attention est portée sur les chercheurs d’emploi à faible niveau d’étude et/ou inoccupés depuis au moins deux ans. Grâce au partenaire Kois Invest, société belge spécialisée dans le financement de projets et d’entreprises à fort impact social, le projet est ainsi préfinancé par des investisseurs privés. L’investissement global, d’un montant de 2,3 millions €, permettra de financer le programme pendant 5 ans. Le rendement que ces investisseurs obtiendront sera fonction des résultats obtenus, c’est-à-dire les taux de mises à l’emploi :
- Si les résultats sont inférieurs à ceux du groupe de contrôle, les investisseurs perdent la totalité de leur investissement.
- Si les résultats atteignent entre 1% et 50% de plus que ceux du groupe de contrôle, les investisseurs récupèreront progressivement leur mise, sans aucune prime.
- Si les résultats atteignent entre 50% et 100% de plus que ceux du groupe de contrôle, les investisseurs toucheront sur la durée du projet une prime progressive plafonnée à 7,5%.
« En 2014, nos équipes avaient déjà structuré le premier Social Impact Bond belge « Duo For a Job », ayant facilité l’intégration professionnelle de nombreux jeunes migrants à Bruxelles. Nous sommes heureux de pouvoir contribuer cette fois-ci à répondre à un autre problème majeur de société: le chômage de longue durée », affirme François de Borchgrave, co-fondateur et administrateur-délégué de Kois Invest. Et d’ajouter : «Nous aimons beaucoup mettre en place des Social Impact Bond car ce sont des instruments qui permettent de fédérer différents acteurs de la société, selon ce qu’ils savent le mieux faire, autour d’un même objectif social et d’une manière win-win-win: ici, trois acteurs différents se mettent ensemble pour combattre le chômage de longue durée: Actiris définit l’objectif social à atteindre et s’inscrit en “acheteur” de résultats sociaux, l’association IOD travaille avec les chômeurs de longue durée pour leur trouver un emploi de par leur approche sur mesure et les investisseurs sociaux portent sur eux le risque de non réussite du projet. Si ça marche, tout le monde y gagne, et in fine, surtout les personnes remises à l’emploi. »
« J’ai décidé d’investir dans le dispositif car j’ai été séduit par le côté innovant de la méthodologie IOD, qui répond à un vrai besoin social, ainsi que par la qualité des équipes portant le projet. Le mécanisme financier m’a également paru pertinent: il me permet de donner un vrai sens à mon investissement, tout en permettant à l’Etat d’allouer au mieux les fonds publics. En effet, Actiris ne déboursera de l’argent qu’en fonction de la réussite effective du dispositif, c’est à dire la remise à l’emploi d’une population particulièrement fragilisée», explique Piet Colruyt, investisseur social.
« Si les objectifs ne sont pas atteints, pas un euro d’argent public ne sera dépensé ; les risques étant encourus par les investisseurs privés. Et si les objectifs sont atteints, la collectivité récupèrera de toute façon plus par la diminution des dépenses sociales et la hausse des recettes fiscales que le rendement dû aux investisseurs. L’opération est donc toujours gagnante pour le contribuable », conclut Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris.